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POURQUOI DIT-ON AUX FEMMES ENCEINTES QUI SOUFFRENT DE NAUSÉES ET/OU VOMISSEMENTS INCOERCIBLES QUE C'EST DANS LEUR TÊTE?

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Une traduction réalisé par

Samantha Medjani Jacquot

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Kate Womersley

Sat 2 Apr 2022 15.00 BST

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Le Dr Kate Womersley revit l’horreur de l’hyperémèse gravidique - qui touche près de 14000 femmes par an au Royaume Uni- et évoque de nouveaux espoirs à venir pour les futures mères.

 


Mes “nausées matinales” ont commencé en soirée. C’était le premier indice prouvant que les guides de grossesse et les manuels d’obstétrique ne disaient pas totalement la vérité aux femmes.


Que la nausée puisse durer toute la journée et ce pour 245 jours, a été le deuxième indice.


Si j’avais su que je serais malade jusqu’à la naissance de mon bébé, je ne suis pas sûre que j’aurais bravé la grossesse.
Une quinzaine de jours après avoir eu les deux lignes roses sur mon test de grossesse, j’ai commencé à me sentir mal.
J’ai tenu responsable un repas expédié en rentrant tard de l’hôpital - j’étais docteur junior- ce que je suis toujours - d’une oppression entre le bas de mes côtes et mon estomac.


Le lendemain matin je me suis sentie comme si j’avais une gueule de bois, alors que je n’avais pas bu d’alcool depuis plusieurs semaines. Aux côtés d’un patient, j’ai ressenti un goût d'aigreur dans ma bouche. J’ai couru aux toilettes. En tenant mes cheveux, je me suis mise à pleurer de choc face à la violence de mon malaise. J’ai vomi de la nourriture, puis de la bile, puis de l’air.


Appuyée contre le mur, les genoux tremblants, je me suis essuyé la bouche avec du papier toilettes qui n’a quasiment rien absorbé. C’était la dernière fois que j’étais au travail pour plus de deux mois.


La grossesse n’est pas une maladie, les femmes enceintes ne sont pas des patientes. Mais celà ne veut pas dire que certains symptômes ne sont pas pathologiques. Près de 90% des femmes enceintes sont nauséeuses et 35% auront besoin d’aide médicale pour leurs nausées et vomissements.


A la fac de médecine, l’hyperémèse gravidique fait l’objet d’une ou deux diapositives. Je me souviens avoir espéré que ça ne m’arrive jamais. Connue par ses victimes sous le nom d’HG, l’hyperémèse est une maladie “excessive”. Elle affecterait 2% des femmes enceintes,


cette statistique excluant grand nombre d’entre elles dont les journées sont ponctuées par les nausées et vomissements mais qui n’ont ni prise en charge médicale ni diagnostic.
Même en utilisant cette statistique erronée, sur les 700000 femmes qui accouchent chaque année au Royaume-Uni, 14000 auront de l’hyperémèse. Juste après la menace d’accouchement prématuré, les vomissements sont la seconde raison pour laquelle une femme enceinte a besoin d’une hospitalisation.

Les conséquences peuvent être terribles : éclatement des tympans, saignements de l’oesophage, déshydratation critique, grosses carences en vitamines, acétone dans les urines qui est un signe d’inanition. Pour évaluer la sévérité, les médecins utilisent un outil au nom teinté de
misogynie : le PUQE (Pregnancy Unique Quantification of Emesis).

 

Pendant ce temps, les parents sont rassurés quant à la santé de leur bébé qui va bien.
L’idée médicale du fœtus parasite est rassurante quant à sa capacité à prendre tout ce dont il a besoin chez son hôte.


Mais une étude parue en 2021 montre un risque 5 fois supérieur à la normale de bébés petits pour l’âge gestationnel chez les mères souffrant d’HG, risque supérieur à l’usage d’amphétamines, de cannabis ou de tabac par la mère.

Chez ces enfants, on observe un plus grand risque de troubles du spectre autistique, de problèmes de santé mentale et de retard Neurodéveloppemental.

 

Certains foetus n'atteignent jamais ce stade. Une femme sur 7 souffrant d’hyperémèse aura recours à un avortement, cruellement appelé “avortement thérapeutique”, et la moitié des femmes atteintes considère cette option, alors même que ces bébés étaient voulus et déja aimés.


Demandez à un docteur pourquoi les nausées et vomissements commencent au premier trimestre, pourquoi l’hyperémèse peut continuer pendant des mois et pourquoi la récurrence est de 75% pour les grossesses suivantes et il vous répondra de manière évasive.


Pourquoi la santé féminine est-elle si peu considérée que ces symptômes extrêmes sont minimisés, mal pris en charge et incompris?

 

 

“Mon corps tue les bébés” se dit le Dr Marlena Fejzo, chez elle à Los Angeles, regardant le soleil à travers ces stores à moitié fermés.

 

En 1999, elle était post doctorante à l’UCLA et étudiait les marqueurs génétiques de la sclérose en plaques. Puis elle est tombée enceinte.

 

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Dans les premières semaines, elle vomissait si sévèrement que son médecin a organisé une hospitalisation à domicile avec des perfusions pour la réhydrater et l'administration d’un antiémétique, l’ondansétron, toutes les 4 heures.

Même avec ce puissant médicament,utilisé à l’origine pour les patients recevant une chimiothérapie, ces symptômes ont continué. Ses parents retraités venaient chaque jour pour s’occuper d’elle, vider ses bassines, et tester ses urines pour détecter l'acétone.

Les os de Fejzo continuaient à s’enfoncer dans son matelas. Le moindre mouvement de sa tête éclenchait une spirale de vomissements. Après 10 semaines dans son lit, elle commença à saigner et perdit son bébé.


Cette tragédie provoqua une vocation. “La gravité de l’hyperémèse n’est pas compréhensible, à part si vous l’avez vécue vous-même” dit Fejzo. “La seule manière pour que les gens qui ne l’ont pas vécue peuvent le comprendre, c’est en pensant aux fois où ils ont été malades aux toilettes.

 

Ces trente secondes avant que la personne ne vomisse quand elle pense qu’elle va mourir. Voilà comment les femmes avec une HG se sentent tout le temps.” Fejzo retourna au travail 6 semaines plus tard, traumatisée par la perte de sa fille mais déterminée à épargner à d’autres femmes cette douleur.

« Je veux faire une étude génétique sur les causes de l’hyperémèse gravidique” a-t-elle annoncé à une réunion d’équipe. “Je veux en trouver la cause”. Son patron rit.

 

*

 


J’ai fait des exercices de respiration. J’ai acheté une petite machine TENS pour porter sur le point d’acupression “nei guan” à l’intérieur de mon poignet. J’ai commandé chaque produit au gingembre que j’ai pu trouver (thé au gingembre ! biscuits au gingembre ! sucreries au gingembre bouilli!). Rien n’a fonctionné. J’ai appelé mon médecin traitant pour lui dire que je n’allais pas bien.

 

Vomir n’était pas le pire - j’étais assommée par les nausées. Elle m'a prescrit un flacon marron avec des comprimés blancs. Elle était gentille, suggérant que je prenne de la cyclizine (un antihistaminique) et me faisant un arrêt de travail de quinze jours.


Je suis finalement allée dans un cabinet médical, inquiète à l’idée de vomir en public. J’ai expliqué ma situation à un médecin différent, qui a insisté pour que je prenne trois médicaments simultanément : cyclizine, prochlorpérazine et ondansétron.


Quand je lui ai dit que j’était perplexe à l’idée de prendre plus de médicaments, il m’a demandé de “mettre de côté mon cerveau scientifique”. Mais j’avais lu un papier sur l’augmentation des risques de fentes labio-palatines avec l’ondansétron. L’Agence Européenne de Médecine déconseillait son utilisation au premier trimestre.

C’était dommage, l’ondansétron étant le médicament le plus efficace contre les nausées de la grossesse parmi un faible nombre d’options, soulageant les symptômes chez près de 50% des femmes.

 

 L'association de l’ondansétron et des fentes labio-palatines est en réalité
minime. Le risque est accru de 0.03% par rapport aux bébés non exposés, soit 3 naissances pour 10000.

 

Mais en pensant à cette prescription, je n’arrivais pas à considérer ces nombres comme je les aurais vu en tant que docteur. J’étais une patiente perdue.

 

Ma confiance en ces médicaments pour garder mon bébé et moi en sécurité s’était envolée.

 


Comme de nombreux médicaments, les anti-émétiques comme l’ondansétron et la cyclizine ne sont pas homologués pour une utilisation pendant la grossesse, et les patients doivent en assumer le risque.


A la fin des années 1950 début des années 60, la thalidomide a été donnée pour traiter les nausées et vomissements de grossesse. En à peine deux ans, les effets épouvantables sur le développement du squelette chez le fœtus sont avérés quand des bébés sont morts-nés ou nés avec des membres atrophiés.


Les chercheurs et les compagnies pharmaceutiques se sont fait incendier. Les femmes enceintes ont depuis été écartées des essais médicamenteux, et donc des connaissances basées sur les preuves que de tels essais peuvent produire. Mais ces résultats sont essentiels pour les guider, les protéger et les rassurer.

 

J’étais convaincue que la sécurité de mon bébé était plus importante que ma souffrance. Je réalise maintenant que les deux ne se dissocient pas si facilement.

 

Mon corps était l’endroit où nous vivions toutes les deux et ma souffrance lui laisserait aussi une marque.


Je suis retournée au travail au milieu du deuxième trimestre quand j’ai arrêté de vomir tout au long de la journée. La nausée en revanche était constante. Mon salaire avait été diminué de moitié. Si je ne retournais pas travailler, je compromettrais mon congé maternité.

 

Je devais commencer un boulot en obstétrique. Ici j’espérais un peu de compréhension mais les patientes avec une hyperémèse gravidique n’étaient pas une priorité. Elles devaient passer le test du toast avant d’être renvoyées chez elles - garder une tranche sans la vomir.


Des toasts restaient sur les plateaux, grignotés ou pas touchés.


“Quasiment la moitié des femmes du service ont de l’hyperémèse” ai-je dit au médecin senior. Est ce qu’il y a autre chose qu’on pourrait faire pour elles ?”
“Ce que tu dois te rappeler à propos de l’hyperémèse, répondit-elle, c’est que la plupart du temps c’est...” Elle tapota sa tempe avec son index en traçant des cercles dans l’air.

Je n’avais pas vu ce geste depuis l’école. Elles sont folles, ces femmes. Sa main exprimait ce qu’elle ne disait pas de vive voix. “Tu n’as jamais été malade enceinte? lui demandai-je.
“Moins je travaillais, plus j’étais malade. J’ai opéré avec des nausées” répondit-elle, puis elle a pris son téléphone. La conversation était terminée.

 

 

Cet échange me rappela une conférence enregistrée qu’un étudiant en médecine m’avait envoyée quelques années plus tôt quand je faisais des recherches sur la sécurité en obstétrique aux Etats-Unis. J’ai retrouvé la pièce jointe. “C’est généralement ce que l’on voit chez les patientes atteintes d’hyperémèse gravidique- dit le clinicien à l’audience - une marée d’ordinateurs portables. “elles sont dans un état grave et doivent être admises à l’hôpital.

Il y a habituellement des raisons psychosociales là-dessous" Soit elles ne veulent pas être enceintes ou n’ont pas de soutien à la maison. Ou des situations de ce genre” Et il porte le coup final “Souvent, elles n’ont pas envie d’aller mieux”.

J'étais agitée par la brutalité de ses propos, alors que je traversais le parking le soir même, caressant mon ventre. Je voulais plus que tout être enceinte. J’en voulais quand même à mon corps.

 

Comment pouvait-il nous faire ça ? Pourquoi ne pouvait-il pas faire face ?

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*


Alors que le Dr Fejzo cherchait les causes de l’HG, elle savait que pour de nombreux experts la réponse était déjà évidente : c’était dans la tête.

La médecine a tendance à se méfier des symptômes difficiles à diagnostiquer, difficiles à quantifier et difficiles à traiter.

 

La nausée remplissait ces trois critères.
Quand les “vomissements et nausées pernicieux de la grossesse” ont été décrits dans la littérature pour la première fois en 1852 par l’obstétricien français Paul Dubois, l’hystérie avait souvent été utilisée pour expliquer de nombreuses plaintes féminines.

Une collection d’articles universitaires de 1980 rapporte que “depuis que Freud a attiré notre attention sur le sens psychologique des vomissements”, l'hyperémèse est évidemment “un rejet symbolique de l’enfant, ou une tentative orale d’avortement.” L’hyperémèse toucherait les femmes qui ne voulaient finalement pas être mères.


Mais on demande aussi aux femmes enceintes qui vomissent de voir les choses du bon côté. Paul Sherman, un professeur de neurobiologie à l’université de Cornell, voit dans les nausées une “garantie évolutionnelle de santé” qui empêcherait les femmes enceintes d’ingérer de la nourriture toxique pendant la formation des organes du bébé.

 

Les femmes rencontrent souvent cette façon de penser pendant les examens. Vomir est vu comme un signe précoce d’une grossesse saine. L'échographiste m’a demandé comment je me sentais, je lui ai dit la vérité. “Bien” a-t-elle répondu, “c’est ce qu’on veut entendre”.


La cause de l’hyperémèse a des hypothèses. Les bêta HCG (hormone chorionique gonadotrope - βHCG), une hormone de grossesse produite par le placenta, augmente rapidement jusqu’à 10 semaines de grossesse, puis diminue.

A ce moment, pour certaines femmes les nausées et vomissements se réduisent voire disparaissent. Mais ce lien de causalité est une hypothèse, qui est cependant présentée dans les manuels.


En réaction à la science basée sur les préjugés plutôt que sur les preuves, Fejzo a continué à étudier l’hyperémèse gravidique en parallèle de son travail. Elle était confiante quant aux réponses que pourrait apporter l'ADN féminin pour expliquer cette maladie qui lui a tant coûté. D’abord, elle a dû établir le fait que l’HG était une maladie héréditaire.

En 2016 elle a interrogé et étudié plus de 4400 femmes enceintes aux Etats Unis et dans le monde entier pour confirmer le caractère héréditaire. Elle a recueilli des échantillons de salive de malades d’HG et les a comparés à des échantillons de femmes non malades.

 

Elle a décrit une “étude du génome à large spectre” dans laquelle les génomes des individus sont scannés et comparés. Rejeté par les financements académiques, le projet de Fejzo a finalement été financé par un partenaire de l’industrie, la société de tests ADN « 23 and Me».


En 2017, les résultats sont publiés et une deuxième étude parue l’année dernière confirme ses découvertes. Le travail de Fejzo ne montre pas d’association entre l'hyperémèse et les bêta HCG, discréditant la vieille doxa médicale. Mais un autre gène, GDF15 serait impliqué.

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GDF15 s’exprime à son plus haut niveau dans le placenta et dans d’autres organes à des niveaux plus faibles, et augmente la réponse à un stress physique, comme une crise cardiaque ou une infection.

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Cette hormone contribue également à la cachexie, une profonde perte de poids et perte de muscle vues chez les patients atteints de cancer et pouvant causer la mort.

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Les symptômes de la cachexie sont étrangement similaires chez les femmes atteintes d’hyperémèse gravidique. Mais les concentrations sanguines de GDF15 dans l’hyperémèse sont jusqu’à trois fois supérieures à celles observées dans la cachexie chez les patients cancéreux.


“Quand les patients cancéreux disent qu’ils ont l’impression de mourir, on les croit” dit Fejzo.
“Mais quand les patientes atteintes d’hyperémèse disent qu'elles ont l’impression de mourir - et elles peuvent se sentir jusqu’à trois fois plus mal que les patients cancéreux qui ont nausées et vomissements, on doit vraiment les prendre au sérieux”.

 


 

 

Les essais de phase 1 sont en cours pour traiter la cachexie chez les patients atteints de cancer grâce à un médicament qui neutralise GDF15.

Grâce à la découverte du Dr Fejzo, ce même médicament pourrait être une bouée de sauvetage pour les femmes enceintes et leurs bébés.

 


Ma propre maladie a laissé place à la naissance d’un nouveau né adoré, apparu par-dessus le champ chirurgical pour rencontrer ses parents. J’étais euphorique - ma fille allait bien et j’étais libérée.
Elle sait maintenant dire “parapluie”, pointer du doigt la lune et montrer ses petites dents.
Dans le bain, je regarde ma cicatrice de césarienne, comme un sourire, argenté sur les côtés et encore violette au milieu.


L’horloge biologique est souvent supposée sonner à nouveau chez les mamans qui ont un bambin.

Mais jusqu’à ce que nous soyons crues, impliquées dans les décisions à propos des options médicamenteuses, jusqu’à ce qu’on nous donne la permission de nous sentir atrocement mal le temps qu’il faut et qu’on soit soutenues, entourées pendant ce qui peut être les mois les plus durs de notre vie, je marquerai une pause quand les gens bien intentionnés me demanderont quand -et non pas si- je compte avoir un nouveau bébé.

 

 

 

 

 

Consultez L'article de Nature et communication original décrivant la méthode et les analyses.

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